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l’interview complète de Gaël LEJEUNE

et Coline SOREL

La métamorphose de l’agriculture bretonne est à l’ordre du jour. Elle a fait l’objet d’engagements et de débats lors de la dernière campagne des élections régionales (mars 2010), le candidat socialiste et président sortant parlant d’une nouvelle alliance nécessaire avec les agriculteurs. Une intention de façade selon Europe Ecologie Bretagne/UDB qui a souligné la prétendue faiblesse du programme agricole de la liste Le Drian pour mieux justifier leur maintien au second tour.


Ce programme de la majorité actuelle du Conseil régional (doc.1 le programme) a été abondé par Bretagne Ecologie qui au contraire embrassait l’objectif décliné par Jean-Yves Le Drian (http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Yves_Le_Drian). Qu’en est-il véritablement ? Des points de consensus ont été trouvés sur la question du foncier agricole, des économies et de la production d’énergies à la ferme, sur la diminution de la dépendance aux protéines d’importation, sur le développement des circuits courts notamment via l’introduction de produits bio dans les cantines lycéennes, sur le développement des signes de qualité, sur la poursuite des installations et des conversions au bio (+ 1000 fermes bio en 4 ans)… Autant d’engagements qui constituent de bonnes pistes pour faire évoluer « le modèle agricole breton ». Mais est-ce en effet satisfaisant pour enclencher la métamorphose attendue ?


Le sociologue Edgar Morin (http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin) qui faisait l’éloge de la métamorphose (Le Monde – 10 janvier 2010), terme aujourd’hui dans toutes les bouches et presque déjà galvaudé, l’écrivait lui-même : « Aujourd’hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer » et plus loin, « Il ne suffit plus de dénoncer. Il nous faut maintenant énoncer. Il ne suffit pas de rappeler l’urgence. Il faut savoir aussi commencer par définir les voies qui conduiraient à la Voie ».


Pour énoncer, il nous faut donc repenser, penser un discours de la métamorphose comme espace du possible après avoir atteint le pire (les conséquences négatives du modèle breton) et donc éviter le péril de la simple adaptation du modèle breton. Il est au contraire nécessaire de développer une véritable pensée de la mutation appuyée sur une volonté politique identique à celle des années 50-60, qui a justement permis l’essor du modèle breton que l’on souhaite dépasser aujourd’hui, disons par nécessité s’il ne s’agit pas de conviction.


Qu’est ce que le modèle agricole breton ?


Cette expression revient souvent dans les échanges sur l’agriculture, il existerait un modèle agricole breton qui correspond bon an mal an à la période des « Trente Glorieuses », version bretonne. Ce modèle s’est adossé sur les priorités de la Politique Agricole Commune qui a constitué l’un des vecteurs essentiels de l’unification d’une Europe libre et indépendante, sa meilleure traduction concrète.

De quoi s’agit-il dans les faits ? Pour le dire simplement, du développement d’un complexe agro industriel, des fournitures d’intrants jusqu’à la grande distribution, selon une organisation en filières indépendantes sur le principe du productivisme. Au sortir de la guerre, le mot d’ordre est celui de l’indépendance alimentaire de l’Europe, il faut donc produire en quantité, l’environnement n’est pas d’actualité.


L’agroalimentaire constitue aujourd’hui 35 % de l’emploi industriel de la Bretagne, soit 11 % des actifs. Son chiffre d’affaire net était de 16,5 milliards d’euros en 2007 ce qui place la Bretagne au premier rang des régions françaises. Avec l’adoption de ce modèle, la Bretagne a changé de visage, elle est passée du misérabilisme ambiant à l’affichage de sa fierté… de ce qu’elle est et de l’effort accompli. Mais derrière cette image idyllique se cache une vérité un peu moins séduisante.


Alors que le nombre d’actifs augmente globalement dans la société, les actifs agricoles s’écroulent. L’effet ciseau est clair et net. Les agriculteurs ont fait les frais de la production de produits standards et bon marché adaptés au développement parallèle des grandes et moyennes surfaces (GMS) dont la stratégie commerciale s’adresse aux masses urbaines gonflées par l’apport de l’exode rural. La baisse du nombre d’actifs (-31,2% entre 1990 et 1999 avec de grosses variations en fonction des territoires, -45% des exploitations sur la même période) est d’ailleurs plus importante en Bretagne que dans le reste de la France. Cela se traduit aussi en dix ans par la diminution par deux des installations dont 32 % sont désormais issues du monde non agricole. Enfin, cela se concrétise par un résultat par actif beaucoup plus faible en Bretagne par rapport à la moyenne nationale, 17 600 € contre 28 570 €.


L’évolution des emplois de la sphère agri alimentaire est maintenant négative (-15,8 %) avec des emplois dans l’industrie en hausse ce qui signifie que les emplois agricoles ne cessent de disparaître tout comme la surface agricole utile (SAU) s’amenuise sous l’effet de l’augmentation de la productivité et de l’urbanisation galopante (-0,3%/an depuis 1970). En 2000, on dénombrait 51 219 exploitations, elles sont à peine au nombre de 38 000 aujourd’hui à l’heure où le recensement vient d’être entamé.


Cette saignée devrait se poursuivre avec une instabilité accrue des prix des matières premières liée au dérèglement climatique, à leur rareté et à la spéculation sur les marchés. Le contexte de baisse des prix favorise l’augmentation de la surface des exploitations qui permet, elle, l’augmentation de la production et ainsi le maintien des revenus. Là où hier des emplois agricoles ont disparu sur le principe partagé de la modernité et du progrès, ils disparaissent désormais au nom d’une sélection naturelle commandée par les aléas des marchés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les quotas (limitation de production) ou encore le droit à l’épandage (difficulté d’extension du cheptel) sont dans la ligne de mire des libéraux qui, où qu’ils soient, à Bruxelles ou à Paris, visent à lever les freins à l’agrandissement au nom de la compétitivité de l’agriculture européenne (cf. l’amendement Le Fur qu’a fait sien en partie le gouvernement).


En 2000, en Bretagne, les exploitations de 100 ha représentaient 3,78 % de l’ensemble des exploitations. En fortes hausses, mouvement qui a du se poursuivre inéluctablement depuis, elles mettaient alors en valeur 15 % de la surface agricole bretonne. 28 % des exploitations réalisaient 70 % de la marge brute standard (MBS) ce qui montre bien le niveau d’intensité du modèle breton.


A bien des égards, la Loi de Modernisation Agricole votée à l’été 2010 (doc.2 une analyse de la LMA) accélérera cette tendance, dans le seul but de renforcer la compétitivité de l’appareil agroindustriel à l’échelle internationale.


Un modèle breton aux limites sociales et environnementales bien connues


Peut-on dire pour autant que le modèle breton, finalement tellement raccord avec les choix européens d’orientation stratégique, a fait illusion ?


Non si on considère les objectifs alors recherchés : développer une alimentation en quantité et bon marché destinée à une population de plus en plus urbaine, afin aussi de libérer une part des revenus des ménages pour accroître la consommation d’autres biens, matériels notamment technologiques, et ainsi favoriser la croissance économique.


Oui si on s’attarde sur la forte érosion de l’emploi agricole avec, outre ses incidences sociales, des conséquences lourdes sur le plan environnemental et de l’aménagement du territoire. Interrogé à l’aune des trois piliers du développement durable, ce modèle n’a strictement aucun avenir. On le qualifie certainement de breton car c’est à la faveur de son essor que la Bretagne a épousé les contours d’une modernité qui jusque là lui échappait. Un essor qui a été rendu possible parce que les classes dirigeantes, politiques, syndicales et industrielles, ont marché du même pas, dans la même direction, peut-être au nom de « l’intérêt régional ».


Mais d’un point de vue économique, ce modèle n’a certainement rien d’original –si ce n’est la forme coopérative qui l’a animé à ses débuts avant de se confondre avec les entreprises de marchés les plus classiques-, il correspond à la définition et à la promotion d’une politique industrielle avec des logiques de production et de spécialisation parfaitement appropriées au standard de consommation qu’il convient de développer.


Les démarches de normalisation, qu’elles soient sanitaires ou environnementales, contribuent à l’effort d’harmonisation nécessaire à la mise sur le marché de produits industrialisés et sécurisés, non pas avant tout pour satisfaire un consommateur apeuré mais bien pour éliminer toute forme de concurrence et surtout faire en sorte que le fournisseur de matières premières, en l’occurrence l’agriculteur, abonde une marchandise conforme au process industriel de transformation. La quantité de matières premières à manufacturer peut parfaitement augmenter avec un nombre limité de producteurs. C’est bien là la logique de l’agrandissement qui permet de développer la capacité d’investissement ou d’endettement du producteur pour répondre aux normes qu’on lui impose. C’est ainsi que depuis 1995, la filière bovine a diminué de 1/3, la filière volaille de ¼. C’est ainsi que les cultures en plein champs diminuent mais qu’en parallèle se développent les cultures hors sol sous serres (les tomates par exemple) pourtant très consommatrices d’énergie. C’est ainsi que la spécialisation économique se traduit par des importations de protéines animales, une quasi immuno dépendance de l’agriculture européenne et donc bretonne au soja, OGM ou non.


Finalement, les normes environnementales et le respect de l’environnement n’ont pas les mêmes finalités. Les premières sont au service d’une entreprise de sélection des agriculteurs les plus à même de servir le système industriel quand le second vise au respect au sens large des ressources qui font la richesse d’un territoire et qui lui permette de pérenniser une activité économique, en premier lieu agricole. Or l’un des traits caractéristiques du modèle industriel breton, outre la recherche de productivité dans un but compétitif, est bien la dégradation de l’environnement qui a accompagné son essor. Même Jean Salmon, figure emblématique de la FRSEA, finit par admettre certaines dérives : « Sur le hors sol, là on a fait une gaffe car on n’a pas pris assez tôt en compte les dégâts collatéraux que cela pouvait représenter » (cycle de rencontres sur l’avenir de l’agriculture, Saint-Brieuc, avril 2010).

Sur les 250 000 kilomètres de talus recensés en 1970, il en reste aujourd’hui moins de 100 000. Les nitrates, très présents dans l’eau jusqu’à générer la pollution des plages par les algues vertes, stagnent depuis les années 2000 mais au niveau où ils avaient fortement augmenté durant les années 80 et 90 ! Les pesticides ont également envahi les rivières avec comme corolaire la mise en place de nouveaux traitements des eaux dont le coût est répercuté sur la facture du consommateur.


Lors d’une récente intervention de Gérard Maistre, directeur de l’INRA, sur l’avenir de l’agriculture bretonne (Cycle de rencontres sur l’avenir de l’agriculture, Saint-Brieuc, avril 2010), celui-ci citait Daniel Picard, président de Cochon en Bretagne : « Si nous ne faisons rien, le marché nous pousse à n’être que des producteurs de minerais, vendus de moins en moins chers, avec des marges qui se dispersent dans tous les maillons de la filière et pas chez le producteur ! ». Un aveu éloquent qui en dit long sur l’état de dépendance des producteurs vis-à-vis de l’industrie, un aveu qui surtout permettait la réaction suivante de Gérard Maistre afin de recadrer le débat, « La question est de savoir si on veut conserver une agriculture en Bretagne, pas celle de nourrir le monde ! ».


Un modèle breton qui se heurte au nouveau visage des campagnes


Si le modèle breton était parfaitement adapté à la consommation de masse, il ne répond plus aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants sur la qualité de l’alimentation, surtout depuis l’apparition de crises sanitaires à répétition (scandale des farines animales, grippe aviaire, etc.). La qualité de l’aliment est de plus en plus recherchée, son originalité également tout comme sa valeur éthique. Or, seulement 12 % des exploitations bretonnes sont sous signes de qualité, 1665 en label rouge (8 % contre 23 % en Pays-de-la-Loire), 511 en AOC, 1057 en AB. A partir du 1er janvier 2011, l’affichage environnementale sera obligatoire sur les produits notamment la valeur carbone de celui-ci. La dimension environnementale devient économique.


L’acte consumériste évolue en profondeur, au moins dans les sociétés occidentales. Ce changement n’est pas encore généralisé mais il est bel et bien engagé, dans les villes où se concentrent aujourd’hui 80 % de la population du pays mais aussi dans les campagnes peuplées de néo ruraux. La République paysanne avec ses nombreuses communes et un habitat fortement dispersé qui se confondait avec le lieu de travail appartient au passé. Bien que tardivement, la France a suivi l’exemple urbain des grands pays européens, cela s’est traduit par la spécialisation économique des territoires et l’exode rural. La campagne s’est métamorphosée, évidemment en milieu périurbain mais aussi dans un rayon à 50-60 km des métropoles avec des urbains en quête de logements abordables, dans les bourgs ruraux avec des populations à la recherche de services urbains. La campagne est devenue résidentielle, les agriculteurs minoritaires exceptés peut-être en Centre Bretagne, là où les activités autres qu’agroalimentaire sont quasiment inexistantes et où les chiffres de la démographie révèlent un vieillissement très rapide de la population.


Les conflits d’usages sont devenus la règle, la nature constitue un patrimoine pour le néo rural, le bien privé agricole est alors perçu comme un bien public soumis à dégradation. On peut mesurer le poids des incompréhensions entre les acteurs de cette campagne renouvelée. Le face à face est permanent entre les agriculteurs et ces nouveaux habitants qui ne partagent pas les mêmes objectifs. Ce qui est en jeu ici, c’est bien la place de l’agriculture dans les territoires et la question ne peut être abordée que sous l’angle trifonctionnel de la campagne, des lieux à la fois résidentiels, productifs et patrimoniaux.

De la métamorphose de l’agriculture bretonne


Par Christophe KERGOSIEN


Rennes, le 31 mai 2011

PROJET DE LOI DE MODERNISATION

DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE


(enregistré au Sénat le 10 janvier 2010, ouverture des débats

mai 2010)

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NOTE DE SYNTHESE

Notre projet

pour la Bretagne


mars 2010